Damouré Zika, l'ami de Jean Rouch n'est plus
C'est avec consternation que nous avons appris le décès, lundi dernier dans l'après midi, de l'auteur, infirmier, interprète, acteur, preneur de son, assistant réalisateur, ami et complice de feu le cinéaste français Jean Rouch, Damouré Zika, à l'âge de 85 ans à Niamey. Le ''grand baobab'' est tombé à l'hôpital de Niamey des "suites d'une longue maladie. Après Lam, puis Jean Rouch, mort lui en 2004, il ne reste plus rien du trio qui avait conquis nos grands et petits écrans.
On se rappelait encore de lui, robuste, plein de vie, malgré son âge avancé ne ratant jamais la plupart des manifestations cinématographiques dans notre pays et toujours prêt à fournir sa contribution.
Né en 1924 à Niamey, fils d'un sorko-pêcheur, Damouré Zika apprend à son tour le métier de pêcheur, dès l'âge de dix ans. Dans les années 40, il rencontre l'ethnologue français en mission Jean Rouch, qui le décide à devenir infirmier. Circulant dans l'est du Niger, Damouré Zika s'engage dans la lutte contre l'épidémie de méningite qui y sévit. Lorsqu'en 1946, Jean Rouch revient au Niger, il l'accompagne dans tous les villages de l'ouest du pays, pour interroger les vieux guérisseurs sonianké sur la magie. Damouré Zika aura participé à la réalisation de plusieurs films du cinéaste, parfois en tant qu'acteur, dans des films tels que ''La chasse au lion à l'arc'', ''La chasse à l'hippopotame'', ''Les danses des initiés de Firgoune'' ou encore ''La bataille sur le grand fleuve''. Les plus jeunes l'ont beaucoup plus admiré dans ''Cocorico ! Monsieur poulet (1977)'', dans lequel, Lam, son fidèle compagnon dit "Monsieur Poulet", a décidé de monter un commerce de vente de poulets dans les environs de Niamey. À bord d'une vieille 2 CV, lui et Tallou, son apprenti, vont trouver Damouré, un pêcheur à la ligne, pour le convaincre de s'associer à leur affaire.
Après discussion, Damouré accepte de les accompagner une journée à titre d'essai. Les trois hommes prennent la direction de la brousse, en quête de la matière première : les poulets. Mais leur voyage tourne vite à l'expédition hasardeuse et interminable. Une aventure pleine de rebondissements. Tout au long de sa vie, en pirogue sanitaire ou dans des dispensaires, il a soigné les populations riveraines du fleuve. Il travaillait, jusqu'à son hospitalisation, dans un petit cabinet médical qu'il a créé il y a une quarantaine d'années : le " Cabinet médical Jean Rouch ".
Il y dispensait un savant mélange d'une médecine traditionnelle basée sur les plantes qu'il a reçu de son père, et une médecine occidentale classique apprise à l'école d'infirmier dont il est diplômé. Il était aussi l'auteur de ''Journal de route'', un petit bouquin qui retrace sa vie, publié aux Éditions Mille et une nuits, en 2007. ''Journal de route'' est le journal d'une expédition en 1947-1948, à l'intérieur de la brousse, chez des magiciens. Damouré Zika note des histoires de chasse, de pêche, des rencontres, et consigne quelques observations politiques...
Et pourtant, personne n'aurait pu prédire cette vie à Damouré (peut-être les génies du fleuve!). En fait, Jean Rouch et Damouré Zika, s'étaient rencontrés dans les années 40 sur les rives du fleuve Niger. Ensuite, ce fut le début d'une longue aventure qui dura jusqu'au décès en février 2004 de Jean Rouch, alias "le sorcier Blanc", dans un accident de la route dans notre pays. C'était Rouch qui lui apprit à lire et à écrire. Damouré a joué dans la plupart des films de Rouch dont le tout premier "Bataille sur le grand fleuve", en 1950, pour lequel le réalisateur français était resté quatre mois sur une pirogue pour filmer la technique de la chasse à l'hippopotame chez les Sorko (maître-pêcheur) d'Ayorou.
Un jour, alors que l'équipe décide de suivre des Nigériens sur la route du Ghana, Damouré propose à Rouch de tourner un film sur leur propre aventure. Ce sera Jaguar, la première fiction signée Jean Rouch, dans laquelle Damouré tiendra le rôle principal. Ainsi, Damouré Zika a joué dans de nombreux films de Rouch. Mais, celui qu'il préfère le plus, a-t-il un jour confié, c'est le film ''Petit à petit'' réalisé 1971, parce que dit-il, il fait beaucoup rire.
Les obsèques de Damouré Zika, décédé lundi dernier à l'âge de 85 ans, se sont déroulées hier, dans l'après-midi au cimetière musulman de Niamey. La levée du corps s'est déroulée à la morgue de l'hôpital national de Niamey en présence de plusieurs personnalités politiques et administratives dont le Premier ministre, Chef du gouvernement, SEM. Seïni Oumarou, de députés nationaux, les membres du gouvernement, l'ambassadeur de France au Niger.
On notait également la présence massive des membres de sa famille et celle de ses amis du monde de la culture, des arts, de la communication et de la santé.
Dans l'oraison funèbre, le ministre de la Culture, des Arts et Loisirs, Chargé de la Promotion de l'Entreprenariat Artistique, M. Oumarou Hadary, a rappelé le parcours exceptionnel et multidimensionnel de l'homme.
Issu de la famille des Sorko, détenteurs des secrets de la tradition des pêcheurs, Damouré Zika a été tout à la fois guérisseur traditionnel, infirmier, traducteur, enquêteur, acteur, scénariste, preneur de son, assistant technique, animateur radio, ethnologue, sans compter qu'il reste l'un des grands pionniers du cinéma nigérien. Pour tout dire, c'est un grand homme de culture que le Niger vient de perdre.
Après la cérémonie de la levée du corps, c'est une foule immense qui a accompagné, dans un long cortège, l'illustre disparu au cimetière musulman de Yantala. Les autres grandes figures du cinéma nigérien comme Moustapha Alassane et Guingarey Maïga étaient aussi présentes à ces funérailles. Tout au long du parcours qui conduit au cimetière, plusieurs concitoyens étaient sortis aux abords de la voix pour voir le cortège impressionnant et faire leurs derniers adieux à ce sage, au sens africain du terme.
De son vivant Damouré a reçu plusieurs distinctions pour les services rendus à la nation. Après sa retraite, il poursuit avec courage son œuvre salvatrice en direction du public à travers son cabinet médical et les ONG ''Pirogue 2000'' et ''Pirogue millénium'' ainsi que des émissions hebdomadaires de sensibilisation sanitaire sur les antennes de la radio nationale.
Il participait depuis 2000 auprès du Centre culturel franco nigérien Jean Rouch dans la collecte des archives nigériennes dans le cadre du projet de constitution d'un centre de documentation Jean Rouch. Ce patriarche laisse derrière lui une famille forte de plus d'une centaine de fils et petits fils.
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