"Je
le considérais comme mon second père depuis la mort du mien. Ce 4 novembre
1996, je suis seul en France quand maman m’apprend son décès. Aujourd’hui
encore, je cherche à percer les mystères de sa vie."...
Jean-Barthélémy, j’ai quelque chose d’important à te dire. Ton grand-père
vient de nous quitter. Je voulais que ce soit moi qui te l’apprenne car tu
vas entendre des choses affreuses. » Maman est la première à me téléphoner ce
4 novembre 1996. Dans mon appartement de Neuilly-sur-Seine, seul, je suis
effondré. J’ai 22 ans et je viens de perdre celui que je considérais comme un
second père depuis la mort du mien, assassiné en 1979 en Centrafrique parce
qu’il avait commis le crime de se marier à une Bokassa : Martine, ma mère. Ce
nom, Bokassa, j’en suis fier. Malgré les critiques. Car grand-père n’était
pas le monstre qu’on a dépeint. Il était arrivé au pouvoir en République
centrafricaine en 1966, à la suite d’un coup d’Etat. Sans effusion de sang,
contrairement aux rumeurs.
Grand-père est mort. La France décide alors d’offrir des billets d’avion aux
membres de la famille qui souhaiteraient se rendre aux obsèques en
Centrafrique. Ce geste symbolique, beaucoup plus fort que n’importe quel
mot, me touche. Grand-père avait toujours pris la France, qui l’a soutenu les
premières années de sa présidence, comme modèle. Il appelait même le général
de Gaulle « papa ». Un grand signe de respect chez nous. Mais je ne pars pas
en Centrafrique. La pudeur peut-être. Je ne parle à personne de la mort de
grand-père, préférant rester seul et tenter de percer les nombreux secrets
qu’il laisse derrière lui.
« Qu’est-ce que ça veut dire anthropophage ? » Voilà des années que j’entends
ce mot sans connaître sa signification. Je dois avoir une douzaine d’années
quand je pose la question. Maman réussit à trouver les mots pour me faire
comprendre que ces accusations étaient un mensonge dans le seul but de le
mettre sur la touche. Une certaine propagande le surnommait « L’ogre de
Berengo ». Une propagande giscardienne... C’est ce même Etat qui nous propose
donc aujourd’hui de partir en Centrafrique, aux frais de la République, sur
la tombe d’un homme traité de cannibale ! Pour moi, c’est bien la preuve
qu’il ne l’était pas, au-delà du procès de juin 1987 qui le déclara non coupable
des charges de cannibalisme retenues contre lui. On a aussi dit qu’il
dormait avec des centaines de diamants dans son lit. La démesure. Encore.
L’histoire des diamants, toujours. A l’occasion de sa mort, les médias
rappellent cette fameuse histoire qui contribua à la défaite de Valéry
Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle de 1981. Quand deux chefs
d’Etat se rencontrent, ils s’offrent des cadeaux. C’est la coutume. Mon
grand-père, lui, donnait des diamants à tous les présidents qu’il recevait en
Centrafrique. Propriétaire de cinq mines, il adorait cette pierre précieuse.
Valéry Giscard d’Estaing, comme tous les hôtes de grand-père, a donc reçu
quelques cailloux. A la différence qu’ils ne sont jamais arrivés à l’Elysée !
Je ne sais pas comment, mais grand-père le savait. C’est pour se venger qu’il
décida de divulguer l’affaire, révélée par le « Canard enchaîné » en octobre
1979. Il a voulu se venger de sa chute précipitée dans d’obscures
conditions, où la France giscardienne a joué un rôle primordial.
Au-delà des secrets qui entourent grand-père, j’aurais aimé mieux comprendre
son besoin d’exceptionnel. Lui qui a eu dix-sept concubines, possédé cinq
châteaux en France, et même un morceau de Lune acheté à la Nasa au retour
d’Armstrong en 1969 ! Bref, qu’il me raconte comment un enfant, l’orphelin
qu’il était dès l’âge de 6 ans, est arrivé à se construire une vie aussi
fascinante que mystérieuse.
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