WORLD FUTURE - NIGER FUTURE

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Le role de la dispora dansla décentralisation

"La mise en œuvre de la décentralisation constitue une opportunité pour promouvoir la participation des migrants au développement de leurs communes ou régions d'origine"

La migration demeure au cœur de l'actualité dans notre pays, en ce sens que le Niger est un pays d'immigration et d'émigration. Entre ces  deux phénomènes, quel est selon vous, celui qui touche le plus notre pays et quels en sont les conséquences ?

En matière de migrations internationales, le Niger joue une triple fonction : celle de pays d'émission de flux migratoires pour certains pays du rivage atlantique (Nigeria, Ghana, Côte-d'Ivoire, Bénin, Togo..) et d'Afrique du Nord (Libye et Algérie) ; celle de pays d'immigration pour de nombreux ressortissants des pays membres de la CEDEAO (Mali, Nigeria, Burkina, Bénin et plus lointains comme le Togo, le Ghana, le Sénégal..) notamment, et enfin celle d'espace de transit privilégié pour de nombreux ressortissants d'autres pays d'Afrique subsaharienne (Ghanéens, Nigérians, Sénégalais, Camerounais, Guinéens, Togolais, Maliens..) cherchant à émigrer vers le Maghreb et au-delà l'Europe, par la traversée par la voie terrestre du Sahara central

Cette dernière fonction tient essentiellement à sa situation géographique et à l'existence de réseaux migratoires facilitant les circulations humaines entre les rivages sud et nord du Sahara.  Outre ces trois fonctions, le Niger est aussi un pays dans lequel se produisent d'intenses mouvements migratoires internes dont l'exode rural constitue la principale caractéristique.

Parmi ces trois fonctions, la plus importante est la fonction de pays d'émigration.

La Banque mondiale estime, en 2005, le stock d'émigrants nigériens à l'extérieur à 437 844 personnes, soit 3,1% de la population totale, alors que le stock d'immigrants est estimé à 123 687, soit 0,9% de la population totale. Parmi ces immigrés, la proportion des femmes est de 52,1%.  En raison de l'ampleur de ces migrations et de leurs implications sociales, économiques, démographiques, environnementales, politiques et stratégiques, il est tout à fait logique que cette question fasse l'objet que d'un intérêt politique et scientifique croissant.   L'émigration externe s'accompagne de transferts d'argent, de biens et de compétences. Ces migrations participent à la réduction de l'insécurité alimentaire, à la  lutte contre la pauvreté. Les ressources sont parfois investies dans l'achat d'animaux, de moyens de production, dans l'immobilier en milieu urbain, dans le transport et les activités commerciales.

La tendance dominante est que les ressources tirées de la migration sont majoritairement utilisées dans la satisfaction des besoins de consommation.

Les migrations présentent aussi des inconvénients. Il s'agit parfois de l'introduction de certaines maladies en milieu rural. Elles peuvent avoir un impact sur la déperdition scolaire. On a l'exemple de la région de Tahoua. Elles peuvent s'accompagner de nombreux risques pour les migrants eux-mêmes, notamment ceux qui tentent la traversée du Sahara.

Je me réjouis de constater que le Ministère des Nigériens de l'Extérieur accorde un intérêt à la participation des Nigériens de l'extérieur au développement de notre pays, en témoigne le lancement du projet TOKTEN soutenu par le PNUD. Il y a une évolution dans la perception des migrations par les pouvoirs publics qui ont toujours eu une perception négativiste des migrations. Ils ont toujours considéré les migrations comme nuisibles au développement rural, entrainant la baisse de la production agricole, et favorisant l'introduction du vice au village. La création d'un comité pour l'élaboration d'un document de politique nationale de migration, la création d'un ministère des Nigériens de l'extérieur, l'ouverture d'un bureau de l'OIM au Niger, participent d'un changement de perception qu'il faut saluer. Il y a, à travers ces actions, une reconnaissance des migrants en tant qu'acteurs essentiels du développement de leurs pays d'origine.

 

Dans le cas de l'émigration, quelles sont les raisons qui poussent les Nigériens à partir ?  Et quels sont généralement les pays d'accueil des Nigériens ?

Les raisons qui poussent les Nigériens sont nombreuses. Les migrations se définissent à partir d'une combinaison des facteurs d'attraction/répulsion. Les facteurs répulsifs concernent les contraintes dans le milieu d'origine. Au Niger, ces facteurs sont essentiellement d'ordre économique. Il s'agit, entre autres, de faits liés à l'insuffisance de la production agricole due aux contraintes climatiques, aux faibles rendements des cultures, à la dégradation du potentiel productif et à l'insuffisance des terres de culture. Dans les villes, c'est généralement le manque d'emplois, de perspectives et la pauvreté qui expliquent les départs.  Le Niger dispose d'un important stock de bras valides, souvent sans emploi, résultant d'une forte croissance démographique et d'une faible croissance économique. Ce déséquilibre se traduit par une tension qui accroit les migrations. Malgré leur caractère multidirectionnel et les recompositions récentes, ces migrations restent encore majoritairement concentrées sur les pays de la ''Côte'': Côte d'Ivoire, Nigeria, Ghana, Togo, Bénin.

Ces destinations traditionnelles polarisent encore l'essentiel des migrations au départ du Niger. D'autres flux prennent corps, tendant à l'élargissement de l'espace migratoire. Il s'agit, pour les flux à l'intérieur du continent africain, de ceux qui se font en direction de  Burkina, du Tchad, de la Libye, de l'Algérie, du  Cameroun, du Gabon.  Les flux à l'extérieur du continent africain sont relativement faibles et dirigés vers la France, l'Allemagne, l'Italie, les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite. Selon les statistiques de l'OCDE par exemple, les flux annuels des Nigériens vers l'Europe et les Etats-Unis sont estimés en moyenne à 382 migrants par an pour la période 1995-2000 dont 212 vers les Etats-Unis et 180 vers l'Europe.

 

Il semble qu'au Niger, les femmes sont de plus en plus nombreuses à émigrer, qu'est-ce qui explique ce phénomène un peu nouveau ?

Les migrations féminines ont toujours été considérées comme des migrations induites. On constate cependant le développement des migrations autonomes de femmes. C'est au niveau des migrations internes qu'on constate que la proportion des femmes migrantes est significative. Les migrations saisonnières des femmes originaires des départements de Ouallam, Loga, Filingué vers Niamey participent à ces nouvelles reconfigurations migratoires. Cette situation peut s'interpréter par l'évolution des normes sociales et culturelles et la dégradation de la situation économique dans certains espaces d'émigration. Ces migrations s'inscrivent dans une stratégie de survie.  En ce qui concerne l'immigration, on constate que les femmes font plus de la moitié du stock des immigrants. Leur participation aux migrations externes reste faible, même si on constate l'émergence de migrations féminines en direction des pays arabes. L'absence de travaux scientifiques sur ces nouvelles filières migratoires ne me permet pas d'en dire plus.

 

Les pays d'origine des migrants tirent généralement des avantages du départ de leurs ressortissants qui y font des investissements importants. Peut-on évaluer aujourd'hui, ce que nos compatriotes émigrés font rentrer au Niger ?

Les migrations, notamment les migrations internationales, s'accompagnent de transferts d'argent et de capital social. Il est difficile de donner des estimations fiables sur le volume des transferts d'argent. Un constat s'impose cependant que ces transferts sont importants et sont en constante augmentation. D'après la Banque mondiale, les envois de fonds de l'étranger, y compris les transferts par les migrants (il s'agit des envois de fonds enregistrés par les canaux officiels), s'élevaient à 67 millions de dollars US en 2006, soit 1,9% du PIB. Ces chiffres sont largement en deçà de la réalité lorsqu'on sait que la majorité des transferts se fait par des canaux informels. En matière d'investissement, on constate que ces fonds sont rarement investis dans les secteurs productifs. De ce fait, les retombées des migrations sont rarement visibles.

 

Si l'on part de l'exemple de ces pays, peut-on alors affirmer que la migration est  un mal nécessaire ?

La migration est un phénomène ambivalent, à la fois positif et négatif. Cependant, au regard du rôle qu'elle joue dans le maintien du peuplement des régions de départ comme soupape de sécurité et de sa pratique séculaire, il n'est pas indiqué de dire que les migrations sont un mal. Les migrations, quelle que soit leur temporalité, ont toujours constitué pour les sociétés rurales habituées à la mobilité, disposant de lieux d'accueil éloignés de l'échelle locale, une des capacités d'ajustement pour faire face aux déséquilibres entre les capacités productives du milieu et leurs besoins. Dans un contexte où les perspectives d'augmentation de la production agricole et des revenus de ce secteur demeurent incertaines, les migrations constituent une nécessité et ce malgré la diversification des sources de revenus constatée en milieu rural.

 

Depuis quelques années, le Niger est devenu un pays de transit pour nombre de migrants africains. Pouvez-vous nous dire les avantages, mais aussi les inconvénients,  qui peuvent découler d'une telle  situation pour notre pays ?

Effectivement, depuis plus d'une décennie, le Niger s'affirme comme un pays de transit pour des migrants africains se rendant dans les pays du Maghreb. Ces migrations concernent quelques dizaines de milliers de personnes par an. Au regard de la situation économique des pays africains et du durcissement des conditions d'entrée et de séjour dans l'espace Schengen, ces migrations vont se poursuivre.  Ces migrations constituent une manne économique avec les revenus que tirent les acteurs qui organisent ou profitent de la traversée du Niger et les dépenses qu'effectuent les migrants en transit pendant leurs séjours plus ou moins longs. Une véritable économie de transit s'est constituée dans la région d'Agadez. Cette économie se traduit par le développement de plusieurs secteurs économiques, notamment le transport, la communication téléphonique, l'hébergement, les activités vouées à la migration etc. Cependant, ces migrations s'accompagnent parfois de risques pour les migrants (exploitation, escroqueries, atteinte à l'intégrité physique, attaques de bandits armés, faim, soif, trafic..). Autour de ces migrations, se développement souvent des activités illicites comme le trafic de personnes, de drogue...

Les migrations de transit peuvent être bénéfiques pour le Niger, à condition qu'il ait les moyens de les maîtriser et de les contrôler pour en accroître les conséquences positives et éliminer toutes les activités mafieuses et illégales qui se développent autour.

 

Au Niger, comme dans beaucoup d'autres pays africains, la migration est devenue presque une tradition pour certaines populations. Beaucoup de moyens utilisés  pour diminuer les flux migratoires se sont  avérés sans effets. Pensez-vous qu'il est possible  aujourd'hui  encore de décourager les candidats à la migration ? Si oui, comment ?

A mon avis la question n'est pas de décourager les candidats réels ou potentiels au départ. Et d'ailleurs, peut-on réellement décourager les candidats à la migration ? Pourquoi les décourager? Vouloir décourager les candidats à la migration, c'est ignorer les dynamiques propres des flux migratoires. A mon avis, les questions qui se posent aujourd'hui sont les suivantes : Comment maximiser les avantages de la migration et minimiser les risques qui lui sont associés? Que peut-on faire pour que les migrations du désespoir cessent et que les migrants potentiels vivent mieux dans leurs lieux d'origine ? Est-ce que les jeunes africains sont condamnés à vivre sans autre ambition que celle d'émigrer ? Il faut à mon avis remédier aux    causes de la migration en donnant à chacun les chances de rester chez soi. Dans cette     perspective, les gouvernants africains ont une grande responsabilité, celle de promouvoir le développement économique et social durable.

Interview de Mounkaila Harouna Enseignant chercheur

 



13/02/2009
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